
Le bâtiment le plus ancien de Nouara possède, nous l’avons déjà évoqué à plusieurs reprises, le mécanisme et les meules d’une ancienne meunerie. Deux paires de meules ce qui en fait un moulin déjà conséquent et sans doute riche comme l’affirment les moulures sur les archures et la trémie particulièrement travaillée.
Ce moulin fonctionnait à la fin du XIXe siècle. Jacques Omerin, le Grand Jacques, l’acheta en 1873 et le revendit en 1888. Nous lui devons les mécanismes et les deux paires de meules. Il fut vendu en 1888 à la famille Tixier-Bonnefoy.
Passons maintenant à un exercice de pratique meunière. Comment ce moulin fonctionnait-il ?
Tout d’abord une remarque : ce moulin fut construit sur les principes du moulin à l’anglaise, développés dans le premier quart du XIXe siècle en France. Leur intérêt par rapport au système traditionnel : plus de rentabilité grâce aux roulements en métal et à la possibilité de faire tourner plusieurs meules avec une seule roue, et plus grande simplicité des mécanismes.

La meunerie de Nouara s’étageait donc sur deux ou trois niveaux.
Au rez-de-chaussée, sur de massifs blocs de pierres taillées sont toujours implantés les mécanismes de la transmission. La roue, qui tournait dans sa fosse, entraînait l’arbre de transmission sur lequel s’ancrait une grande roue en métal et aux dents en bois, plus souples, plus solides et plus aisées à changer en cas de casse, mais absentes de nos jours, il n’en reste que les emplacements. Dans ces dents s’enclenchaient des engrenages en métal. La roue tournait, les engrenages entraînaient à leur tour d’autres mécanismes. À gauche côté appentis, un bras emmenait une courroie à godets qui élevait la mouture vers la bluterie située au-dessus ou à un troisième niveau, aujourd’hui disparu. Il ne subsiste que le bas de ce système. Au centre, directement en haut de la roue métallique, un arbre était relié à une paire de meules ; à droite enfin, un engrenage actionnait une transmission secondaire faite de deux engrenages coniques qui eux-mêmes faisaient tourner grâce à un arbre vertical la seconde paire de meules. Chacune de ces transmissions pouvait être débrayée.



Autour des parties métalliques et s’appuyant sur les blocs de pierre s’élèvent encore des poutres en bois vers le plafond, et le traversent. Il s’agit du « beffroi », construction soutenant les meules à l’étage.
À l’étage donc, sur un plancher séparé du reste de la pièce, s’appuient toujours les paires de meules sur le beffroi, deux larges cylindres peu épais, comme du comté ou du beaufort (pas assez hauts pour ressembler à du cantal !). Chacun de ces cylindres est constitué d’une paire de meules entourée d’un meuble en bois appelé « archure ». Le fonctionnement en était simple. La meule inférieure, appelée gisante ou dormante, était immobile. La meule supérieure, mobile, tournait sur la meule inférieure. Elle était dénommée courante ou volante. Pour lui imprimer un mouvement circulaire, l’arbre de transmission s’ancrait par son extrémité supérieure (fourchette) à une pièce métallique le plus souvent en X fichée dans la meule supérieure (l’anille).


Le grain était versé dans l’orifice au centre de la meule courante (ou œillard) par l’intermédiaire de la trémie, entonnoir en bois posé sur l’archure. La paire de meules de gauche, possédant encore sa trémie, permet de comprendre le principe. Le meunier remplissait la trémie de grains (ou bien l’opération était mécanisée grâce à la courroie à godets), grains qui s’écoulaient par le bas vers l’œillard en passant dans un auget en bois. Celui-ci était prolongé par un bout de bois mobile (le manche) qui venait s’appuyer sur une pièce métallique prolongeant l’arbre de transmission (le babillard, ou frayon, ou cornilhet, ou fuseau ou quenouille selon les régions). La forme de ce dernier, comme un X, imprimait en tournant des secousses au bras puis à l’auget, facilitant ainsi l’écoulement des grains dans l’œillard.


Une clochette était reliée à la trémie, indiquant au meunier que celle-ci était vide. Il devait alors s’empresser de la remplir sous peine de voir les meules s’emballer, des étincelles se créer et son moulin prendre feu ! L’écartement entre les meules par ailleurs pouvait être modifié grâce à un système directement appuyé sur la transmission (la trempure).
Les grains une fois moulus sont dénommés « mouture ». Celle-ci était stockée dans l’archure et des petites ouvertures pratiquées sur les côtés permettaient de la recueillir. Les restes d’un système la canalisant pour la diriger vers la courroie à godets est encore visible au bas des meules et au plafond du mécanisme. La mouture était ensuite envoyée vers la bluterie, gros tamis mécanisé qui permettait de séparer le son de la farine. Il ne reste de cette bluterie que l’arbre d’entraînement. La farine était ensuite ensachée. Où se situaient bluterie et ensachage ? À un étage supérieur disparu ou bien au-dessus de l’appentis ?


Les meules quant à elles devaient être affûtées (repiquées ou rhabillées) tous les trois mois. Un système de levage est encore en partie présent au-dessus de la seconde paire de meules. Chaque meule est extrêmement lourde, et difficile à manœuvrer. Une ancienne meule dans la cour permet de voir comment elles étaient construites, puisqu’elles n’étaient pas taillées dans un seul bloc de pierre.
La meule de la cour montre qu’elles étaient constituées d’un assemblage de pierres généralement de même densité et dureté, sauf le centre. Différents types de pierres étaient utilisés, roches gréseuses ou calcaires. Le centre (le boitard) était donc d’abord taillé dans un seul bloc. Autour, plusieurs carreaux étaient assemblés finement et scellés au plâtre ou au béton. Ces différentes pièces étaient alors cerclées de fer chauffé, qui en refroidissant se rétractait et bloquait les différents morceaux constituant la meule.


L’opération suivante consistait à rayonner les meules, dessins que l’on voit encore nettement sur l’ancienne meule de Nouara. Différents dessins étaient possibles, l’objectif étant à la fois de permettre la circulation des grains entre les deux meules, du centre vers l’extérieur, et d’apporter une ventilation entre les deux meules pour éviter l’échauffement de la mouture et la création d’étincelles par frottement des blocs de pierre.
Une fois le rayonnage effectué, la pierre était finement striée pour faciliter le broyage des grains.

Les minoteries apparues au début du XXe siècle diffèrent totalement des meuneries comme celle que nous avons la chance de posséder à Nouara. Une pièce de patrimoine que nous nous efforcerons de protéger et transmettre. Avec un rêve, celui d’actionner de temps en temps ces engrenages et ces meules pour le plaisir de connaître quelques sons d’un moulin devenu silencieux depuis trop longtemps.
mais l’histoire du moulin c aussi des centaines d’enfants venue passer leurs premières colonie de vacances dur place.Comme pour moi.
Bonjour, bien sûr que le moulin compte dans son histoire des centaines d’enfants ayant passé là des jours heureux. Et si l’on veut aller plus loin, ce sont des milliers de personnes qui ont foulé ces lieux depuis 1450, la première fois qu’ils sont mentionnés. Des milliers de personnes qui ont chacune construit ce que ces murs sont. Et la Fondation, qui vient d’arriver certes, imprimera à son tour sa façon d’être et d’envisager les lieux, avec l’envie aussi de découvrir, de comprendre ce que fut le moulin de Nouara autrefois, et surtout de le transmettre.
Je viens d’en apprendre en quelques minutes de lecture bien plus qu’en un demi-siècle de voisinage (et oui, 50 ans en septembre !). Merci à Isabelle Audinet et à la Fondation Omerin.
Il est passé beaucoup d’enfants devenus adultes aujourd’hui. J’en rencontre de temps en temps. Ils me racontent le bon temps, les « batailles de flotte » notamment. Mais je n’ai pas l’impression qu’ils aient été admis à étudier ces merveilles mécaniques du passé. Ils faudra donc qu’ils reviennent très vite lorsque le moulin sera accessible aux visites !